Archive | août 2016

Une visite aux mines de Lens en 1887

 

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   Nous sommes le 21 avril 1887. Cinquante-deux membres de notre Société de Géographie de Lille sont invités par M. Léonard Danel, le président du conseil d’administration de la Société des Mines de Lens, à visiter les différents sites de la compagnie minière qui fête cette année ses 35 ans.

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   Dès notre arrivée à la gare des Chemins de Fer du Nord de Lens, nous sommes accueillis par M. Edouard Bollaert, l’agent général de la société.

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   Après avoir traversé les voies de garage de la société minière et apprécié les nouveaux wagons de charbon de la compagnie…

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… nous empruntons alors un train spécial des mines pour nous diriger vers l’un des puits principaux, la fosse 3 dite fosse Saint Amé (appelée ainsi en l’honneur d’Amé Tilloy, l’un des membres fondateurs de la Société des Mines de Lens). La fosse no 3  a été mise en service en 1860. Le puits no 3 bis fut ajouté en 1881.

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   Cette fosse se situe sur la commune de Liévin. Ce petit village agricole de 1500 habitants en 1850 a connu un essor important avec le développement de l’industrie minière et compte aujourd’hui près de 9000 âmes.

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   La compagnie lensoise y a fait construire 700 maisons pour héberger ses ouvriers et leur famille, une belle église au milieu de deux écoles de filles et de garçons où l’instruction primaire est donnée à 600 enfants et une école d’adultes. Sur la place du village, est installé un jeu de paume.

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   Deux rangées de corons aux toits rouges bordent la rue principale. Toutes les maisons sont pareilles et, par les portes ouvertes, on aperçoit des intérieurs propres et coquets. Chaque maison comprend au rez-de-chaussée une cuisine et une salle assez vaste, à l’étage deux chambres et sous la toiture un grenier.

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   Derrière chaque maison, le mineur dispose d’un carré de terre de 200 mètres qui, très bien entretenu, fournit des légumes pour toute la famille.

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   La compagnie loue ces habitations pour 5 francs par mois. La plus grande propreté règne partout ; une surveillance est exercée par des gendarmes retraités, gardes vigilants et surs.

   Notre groupe pénètre ensuite dans le grand bâtiment de briques à l’architecture simple et élégante comprenant un rez-de-chaussée de 6 mètres où se trouve la recette pour le chargement de la houille et un étage d’environ 15 mètres.

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   Au rez-de-chaussée se trouve une vaste salle pour les mineurs avec de nombreuses armoires individuelles, deux bureaux pour les porions, un autre pour les surveillants, une lampisterie, un magasin comprenant tout les outils nécessaires aux petites réparations.

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   A l’étage se trouvent le chevalet de bois portant les molettes à 11 mètres du sol et la machine à cylindres commandant les descentes et remontées des cages.

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   Enfin, nous sommes invités à descendre dans l’antre de la terre après avoir revêtu l’habit du mineur : la chemise de cretonne, la culotte et la veste de toile, le béguin serré autour de la tête et la lourde barrette de cuir bouilli. Chacun, doté d’une lampe de sécurité, rejoint alors la bouche du puits.

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   La salle de descente est dallée de grands carreaux sur lesquels glissent avec fracas les berlines chargées de houille. Après deux coups de cloche, les câbles de la machine se mettent en marche, l’un monte, l’autre descend dans le gouffre noir. Bientôt, tout se stabilise et on voit apparaître une cage portant quatre berlines de charbon que des ouvriers sortent rapidement de la cage pour les déverser dans les bâtiments de criblage.

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   D’autres berlines sont placées dans la cage, nous nous y installons tant bien que mal.

   Le moment est solennel et une certaine émotion gagne le groupe. Deux nouveaux coups de cloche et, après un léger sursaut, la cage s’enfonce dans les profondeurs du puits. En un instant, tout a disparu. On ne voit que du noir ! On ne peut juger de la vitesse de la descente, mais elle doit être importante puisque rapidement, après quelques oscillations, la cage s’immobilise a plus de 250 mètres sous terre.

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   Aussitôt, des mineurs tirent les berlines de la cage et notre « promenade » peut commencer.

  Après être passés devant l’écurie faiblement éclairée, nous suivons une galerie qui nous dirige vers une veine en exploitation. La galerie est bien entretenue, voûtée en maçonnerie, entièrement blanchie à la chaux pour donner plus de lumière. Au cours de notre marche, nous croisons un train de berline tiré par un cheval qu’un mineur tient par la bride.

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   De part et d’autre, des galeries secondaires ouvrent de grands trous noirs à peine éclairées d’une lueur blafarde. Bientôt, la galerie change d’aspect : la voûte taillée fait place à galerie étayée de troncs de bouleaux. La température monte rapidement et la chaleur devient suffocante.

   A travers le bois de soutènement, on aperçoit une couche de houille de 70 centimètres d’épaisseur que la galerie suit sur toute sa longueur. La veine fait des zigzags singuliers. A un endroit, elle descend brusquement et un mineur, couché sur le côté, abat le charbon à l’aide d’une pique.

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   La houille tombe fragments luisants qu’un jeune galibot ramasse pour les jeter dans une berline qu’il roulera ensuite vers les autres afin de former un petit train.

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   Plus loin, un plan incliné monte à travers les couches. A grands renforts de genoux et de coudes, les visiteurs le gravissent et assistent au travail d’autres mineurs qui, au péril de leur vie, arrachant le charbon de la paroi dans cette veine reconnue grisouteuse.

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   Afin de détecter le gaz mortel, les porions utilisent les lampes Davy à toile métallique (du nom de leur inventeur Humphry Davy) dans lesquelles l’huile a été remplacée par de l’alcool dont la flamme, plus sensible, est entourée d’une toile métallique. Ces nouvelles lampes permettent de déterminer la quantité de gaz contenue dans la galerie.

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   Le trajet de notre groupe n’est pas terminé : par les galeries, nous rejoignons la future fosse 9 dont les installations au sol ne sont pas terminées. Là, la galerie est creusée dans un grès très dur qui nécessite l’emploi de puissantes machines à air comprimé.

   Notre marche souterraine continue jusqu’à rejoindre l’accrochage de la fosse 4. Les voyageurs du fond que nous sommes montent dans les berlines et quittent les entrailles de la terre. La cage monte à travers l’obscurité du puits puis c’est tout à coup un éblouissement général ! Les taqueurs tirent les berlines et nous mettons pied à terre non sans quelques vertiges dus aux retrouvailles avec l’air libre. La cage vide redescend chercher les autres membres du groupe.

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  Le groupe reconstitué, nous échangeons nos vêtements de mineurs souillés par le charbon contre nos habits de voyage, M. Danel nous invite à nous regrouper devant le photographe de la compagnie afin d’immortaliser cette visite.

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   Nous nous rendons ensuite dans la grande salle des bureaux centraux de la compagnie où M. Danel nous offre un dîner plantureux précédé de coupes de champagne et de toasts en l’honneur des sociétés des mines de Lens et de géographie de Lille.

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   Le ventre plein, nous reprenons le train spécial qui nous conduit à Wingles où nous observons les installations au sol de criblage et de nettoyage du charbon. De nouveau quelques minutes dans le train pour se rendre au rivage de Pont-à-Vendin sur le canal de la Haute-Deûle. Un bassin creusé parallèlement au canal permet le chargement de 5000 tonnes par jour de houille.

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   Sur une voie ferrée située à 7 mètres au dessus du niveau des péniches, une locomotive munie d’un élévateur bascule les trémies et le charbon glisse dans des gouttières sous lesquelles se trouvent les bateaux. Ainsi, un chargement de 270 tonnes peut s’effectuer en moins de trois-quarts d’heure avec seulement 3 hommes !

vendin01   C’est avec regrets que nous quittons ce spectacle pour prendre la direction de Haisnes qui est le terminus de notre journée aux mines de Lens. MM. Elie Reumaux, ingénieur en chef et Rénié, responsable du site nous font visiter les installations de la fosse qui a été percée par la compagnie des mines de Douvrin que la société lensoise a rachetée il y a quelques années.

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   La fatigue commence à se ressentir, les jambes sont lourdes. Pour la dernière fois, nous remontons dans le train de la compagnie qui nous ramène à la gare du Nord de Lens.

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     Là, nous empruntons le train de 6h37 à destination de Lille en tentant de nous remémorer chaque détail de cette journée et en nous disant que pareil émerveillement n’avait jamais été offert aux géographes lillois.

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