Je dédie cet article à Bernard Ghienne, passionné par cette période de l’histoire de Lens et qui, avec la Cercle Archéologique de la Région Lensoise, avait confectionné une maquette de la ville à cette époque.
Nota : les chiffres entre parenthèses dans le texte correspondent aux lieux portant le même numéro sur la carte figurant à la fin de l’article.
Un siècle d’histoire :
En ce début de 13ème siècle, Lens, qui faisait partie du comté de Flandre depuis 877, appartient au roi de France. C’est en 1191 que Renaud de Dammartin, quatrième époux de Ida (ou Ide), comtesse de Boulogne et de Lens cède la terre de Lens au roi Philippe-Auguste. Lens appartient alors au comté d’Artois comme Arras, Bapaume, Béthune, Lillers, St Omer et Auxi.
En 1212, un traité est signé à Pont-à-Vendin entre le roi de France et Ferrand de Portugal, le comte de Flandre par lequel la Flandre cède St Omer et Aire-sur-la-Lys au futur Louis VIII, fils de Philippe-Auguste. Le châtelain Jean 1er de Lens, jusqu’alors vassal du comte d’Artois, se soumet au roi.
Ferrand de Portugal et Renaud de Dammartin renient ce traité et une guerre éclate en 1213. Ferrand détruit une grande partie de l’Artois et s’attaque au château de Lens défendu par les troupes de Jean 1er mais ne peut s’en emparer. Le conflit prend fin en 1214 par la bataille de Bouvines et la victoire des armées françaises.
Quelques mois plutôt, Ferrand avait nommé Bauduin, le fils de Jean 1er qui avait combattu à ses côtés (donc contre son père), châtelain de Lens alors que le roi Philippe-Auguste avait confirmé Jean de Lens dans ses fonctions. Lens eut donc deux châtelains pendant cette courte période.
En 1215, à la mort de Jean 1er, Bauduin se rapproche de Philippe-Auguste et confirme l’attachement de la châtellenie de Lens au roi. Il s’engage à payer au roi 200 livres si Ferrand lui déclare la guerre.
En 1224, Louis VIII, roi de France depuis un an et la mort de Philippe-Auguste, assure son épouse Blanche de Castille l’héritage en douaire des villes de Lens, Hesdin et Bapaume. A sa mort trois ans plus tard, il lègue l’Artois à son fils Robert qui deviendra donc Robert 1er, comte d’Artois.
En 1237, Louis IX, dit Saint Louis, confirme la possession de l’Artois à Robert 1er et remplaça le douaire de Blanche de Castille par d’autres biens.
En 1250, Robert 1er est tué en croisade, son fils Robert II hérite du comté qu’il conservera jusqu’à sa mort en 1302 lors de la bataille de Courtrai alors qu’il se trouve à la tête de l’armée du roi Philippe le Bel.
La châtellenie :
L’anarchie qui règne en France de puis les invasions normandes au 11ème siècle engendre la perte d’autorité des rois de France et la création de châtellenies, des territoires sur gérés depuis un château sur lesquels règnent les princes locaux. Ils ont sous leur dépendance des châtelains nommés et rémunérés. Lens est le centre d’une châtellenie qui s’étale de Marles à Brebières d’ouest en est et de Neuve Chapelle à Thélus du nord au sud.
Les châtelains de Lens sont les vassaux du comte de Flandre, Ferrand de Portugal. Ils appartiennent à la famille de la « Maison de Lens » et logent dans la tour, dernier vestige du château de la Motte construit au 11ème siècle (1), près de la porte de Pesquebœuf.
A l’aube du 13ème siècle, le châtelain se nomme Eustache de Lens ; puis vinrent Bauduin III en 1206, Jean 1er en 1211, Bauduin IV en 1215, Jean II en 1238, Bauduin V en 1240, et Jean III à partir de 1264 jusqu’à la fin du siècle.
Gardiens du château comtal, ils gèrent les comptes de la châtellenie, assument par délégation du comte les autorités militaires (Lens abrite une garnison de 27 hommes) et judiciaires, sont chargés de l’arrestation des délinquants, du gardiennage de la prison communale et de l’exécution des sentences. Ils sont aussi protecteurs et bienfaiteurs de la collégiale Notre-Dame de Lens et protègent les biens temporels des moines mineurs.
Le châtelain a autorité sur 12 vassaux qui sont les seigneurs de Souchies (Souchez), Hullucq (Hulluch), Chygyn (Sainghain), Roeult, Avions (Avion), Wendin (Vendin), Billy en Gohelle (Billy-Montigny), Aix (Aix-Noulette), la Cauchiette (Hameau de Amette près d’Auchel), Vielaine (Violaines) et Ledinghem. Formant la cour du châtelain, ils lui versent un impôt et s’engagent à prendre les armes pour le défendre.
Le châtelain perçoit le tiers des amendes échevinales, possède un droit d’octroi sur les marchés et exerce la surveillance de la navigation sur la Souchez, la Glissoire et ‘’le fossé’’ (futur canal de Lens).
Le baillage de Lens :
Dès son couronnement en 1180, Philippe-Auguste veut considérablement renforcer le pouvoir royal. Pour reprendre l’autorité sur les châtellenies, il crée les baillis. Le bailli est nommé par le roi ou son représentant, pas toujours issu de la noblesse, et va prendre peu à peu les attributions jusqu’alors dédiées au châtelain.
La féodalité est respectée par le roi, mais elle lui est alors parfaitement soumise et la justice royale fait de grands progrès. Les comtés renoncent en masse à leur indépendance et laissent au roi le contrôle de leur gestion financière.
En 1224, la châtellenie de Lens disparaît et fait place au bailliage de Lens. Le bailli de Lens s’installe au château du Souverain où il dispose d’appartements et de jardins (2).
Le territoire du baillage de Lens est plus large que ne l’était la châtellenie. C’est un des plus importants de l’Artois, le bailli de Lens règne sur ‘119 villages, hameaux et sences’.
Le châtelain de Lens n’est plus le représentant du comte, il n’a plus rien à voir avec le ressort administratif et ne gère plus que son patrimoine. Il conserve cependant le rôle d’officier militaire contrôlé par le bailli qui a la charge du ravitaillement et de la paye des troupes jusqu’aux environs de 1290 lorsque le roi crée les gardes du château (« garde dou castel de par le roy ») qui reprennent également les attributions militaires et de police du châtelain. Le garde du château de Lens nommé en 1297 par Philippe le Bel est Eustache de Neuville-Matringhem.
On ne trouve la trace du premier bailli de Lens qu’en 1223. Il se nomme Hellin. L’histoire nous rapporte que son successeur Geoffroy de Nully doit réprimer une révolte de bourgeois pour avoir emprisonné l’un des leurs. Puis il y eut Adam de Milly en 1236, Pierre en 1237. On trouve ensuite les noms de Gautier de Mareuil, Huon de Saint-Omer, Jean Creton, Ernoul Caffet ou Achard de Villiers dont la signature figure sur un document délimitant les marais de Wingles !
Les baillis sont donc aussi des officiers publics, chargés des fonctions administratives comme établir, modifier ou valider le cadastre. Ils président le tribunal comtal assistés de 14 feudataires mais ne sont pas juges. Leur rôle est de faire arrêter les coupables et de les traduire devant leurs juges. Ils doivent aussi des charger de faire exécuter la sentence, qu’elle soit pécuniaire ou corporelle. Ils sont également chargés de la perception des impôts royaux et des droits comtaux.
En 1228, le bailli de Lens fait frapper un sceau représentant le château royal.
A noter également la présence à la fin du siècle d’une sorte de « police privée » créée par le comte d’Artois et indépendante du bailli. Elle est dirigée par le «capitaine de la ville de Lens» qui se nomme Thibaut de Willerval.
L’échevinage :
En 1206, Louis VIII, roi de France émet une charte autorisant les maïeurs (maires) et échevins de Lens de nommer leurs successeurs tous les 14 mois. On peut donc penser que c’est à cette époque que Lens a été désignée « commune ».
L’organisation et la gestion de la ville est alors confiée à un échevinage, sorte de conseil municipal officiellement indépendant des comtes d’Artois et des baillis.
Les échevins, choisis dans le corps des bourgeois de la ville, désignent le maïeur parmi eux. Ils sont assistés d’un greffier et d’un argentier.
Les échevins n’ont de pouvoir que sur le territoire de la commune où ils sont juges et administrateurs ; ils reçoivent les actes et contrats (vente de domaine, legs …) qui ne peuvent être considérés valides que s’ils sont signés par l’un des leurs. Ils peuvent négocier avec le roi le montant des impôts dus par la ville au royaume et ont aussi le droit de modifier les lois et coutumes de la commune dans le cadre d’une charte royale.
Réunis 3 fois par semaine d’abord au château royal puis dans la Maison de ville (3), ils exercent la haute, moyenne et basse justice pour les crimes et délits émis dans le bourg selon des règles d’une charte royale. En 1209, cette charte précisait par exemple que « quiconque arrachera un membre à autrui se verra amputé du même membre ou condamné à une amende de 60 livres » encore que « celui qui blessera quelqu’un avec un poignard ou une matraque pourra se faire couper le poing si cela est la volonté des échevins ».
Les échevins et le maïeur n’ont aucun pouvoir militaire. Cependant, en 1228, l’échevinage de Lens s’engage à défendre le roi Louis IX et sa mère Blanche de Castille, régente du royaume contre tous leurs ennemis.
La religion :
A Lens, comme partout à cette époque, l’autorité religieuse a une grande influence sur la vie de la société. On ne sait si la ville a vécu des procès pour hérésie très nombreux à cette époque. Tué lors de la septième croisade en 1250, Robert 1er, comte d’Artois, avait vraisemblablement emmené avec lui quelques hommes de la garnison de Lens.
En 1268, Louis XI écrit aux échevins d’Artois, donc à ceux de Lens, que ses troupes qui participent à la huitième croisade ont besoin de renforts. Il leur demande d’aider Robert II à constituer une garnison. Lens lui offre d’importants moyens financiers et humains.
L’édifice chrétien le plus imposant de Lens est la Collégiale Notre-Dame (4) dont l’église fut construite au 11ème siècle. Elle est habitée par 12 chanoines réunis en un ‘chapitre’ et qui suivent les règles de Saint Augustin. Elle abrite 18 chapelains. Son église à tour carrée, dédiée à la vierge Marie, est impressionnante par ses dimensions, elle est surnommé la ‘basilique de Lens’. Elle se trouve à l’emplacement actuel du rond-point Van Pelt.
Le chapitre de la Collégiale est chargé d’éduquer les enfants de la commune dans une école située près de l’église ; elle gère les trois paroisses de Lens : Notre-Dame, Saint Léger et Saint Laurent. Il soutient financièrement les ‘femmes pauvres en mal d’enfant’, les ‘pauvres alités‘ ou les lépreux.
Le doyen du chapitre est le prévôt de Lens. Pendant la semaine qui suit la Pentecôte, il est le maître de la ville et peut tenir des audiences à l’hôtel de ville. Pendant cette semaine, tout brigand peut entrer en ville sans être inquiété à condition qu’il n’ai pas commis de crime de sang.
Au 12ème siècle, Philippe-Auguste confirme la donation à la collégiale de Lens de 15 sols pour l’achat de vin et de pain de messe et le châtelain Jean 1er ajoute une rente annuelle de 10 livres afin qu’un cierge soit allumé jour et nuit devant la statue de la Vierge.
La Collégiale possède de nombreuses reliques religieuses dont les cendres de Saint Vulgan. Elles sont exposées aux fidèles une fois par an.
L’église de la paroisse Saint Léger (5) se situe au même endroit que celle d’aujourd’hui. Elle a été construite au 11ème siècle par les comtes de Boulogne et de Lens.
L’église de la paroisse Saint Laurent (6) se trouve sur le chemin de La Bassée (au niveau de l’actuelle université Jean Perrin) et est entourée d’un grand cimetière. C’est au 11ème siècle qu’elle fut rattachée au chapitre de la Collégiale.
En 1219, près de l’hôpital de la Cauchie, est construit un monastère (7) à l’initiative de la comtesse de Flandre Jeanne de Constantinople. Il abrite des ‘frères mineurs’ (ou ‘frères menus’), une confrérie créée par Saint Pacifique selon les règles de Saint François d’Assise. Ces franciscains ne possèdent pas de biens, ils vivent de leur travail souvent agricole ou d’aumônes et prêchent dans les villes en errant de cité en cité. C’est en ces lieux que serait décédé Saint Pacifique vers 1250. Pendant les guerres du 17ème siècle, ce couvent se réfugiera à l’intérieur des remparts et prendra le nom de ‘Couvent des Recollets’.
Lens possède aussi un béguinage (8) qui abrite une communauté de femmes âgées ou isolées, à la fois religieuses et laïques. Marguerite d’Alsace, comtesse de Flandre, soutient financièrement le béguinage de Lens.
Les hôpitaux :
L’hôpital de la Cauchie (9), terme utilisé pour désigner une chaussée, qui semble être le plus ancien hôpital de Lens se trouve sur le chemin d’Arras à Lille, à l’emplacement de l’actuel carrefour Bollaert. Il lui est adjoint une chapelle dédiée à Sainte Elisabeth. C’est donc de cette chapelle que provient certainement le nom de la fosse 1 et de la cité créée bien plus tard par la Société des Mines de Lens.
La maladrerie (10), établie pour les lépreux, les pestiférés et les incurables est construite au tout début du 12ème siècle à l’emplacement de l’actuel parc d’activités des Moulins (cité 4) appelé alors le ‘Val Gheri’. Son éloignement des remparts de la ville est justifié par les risques de contagion. Lui est jointe la chapelle Saint Jacques et un cimetière.
L’administrateur de la maladrerie est l’échevinage et le chapitre de la Collégiale exerce sa tutelle en matière religieuse. Le mobilier, les vêtements, les soins, les frais d’obsèques sont à la charge de l’échevinage qui lui alloue pour les vivres une somme mensuelle de 16 sous pour les hommes et de 9 sous et 4 deniers pour les femmes.
Enfin, l’hôpital du Bourg (11), auprès duquel est implanté un cimetière, se situe à l’intérieur des remparts (aux environs de la rue de l’Hospice). Il est construit au début du 13ème siècle et financé par des dons des princes, comtes, châtelains ou autres nobles de la région. En 1698, la maladrerie et l’hôpital de la Cauchie seront fermés et les soins regroupés dans l’hôpital du bourg qui deviendra plus tard l’hospice de Lens.
La vie à Lens :
Au 13ème siècle, Lens est une ville fortifiée d’à peine 2000 habitants. Les fortifications de Lens ont été élevées au 11ème siècle. Elles comportent 22 tours et deux portes munies de vantaux et de herses : la porte d’Arras ou porte du Bourg (12) et la porte de Douai ou porte Peskebeuf, mot qui peut être traduit par ‘cabane de pierre’(13).
Il est interdit de construire sur les remparts. Seul, le moulin à vent de Bekeriel existe au nord du château (14). Un autre moulin, à eau celui-ci, se trouve à l’extérieur de la ville sur la Souchez (15).
C’est au nord de Lens que s’effectuent les exécutions des jugements, là où se trouve le gibet (16).
Le château du souverain (2) se trouve à l’emplacement de l’actuelle place de la République. Il possède des murs en grès, six tours à créneaux et un grand donjon. Il est équipé de deux portes avec ponts levis, l’une sur la ville, l’autre sur la campagne, vers le chemin d’Arras.
Lens possède des cressonnières (kersonière) au nord des remparts (17) dont les bassins étaient alimentés en eau par quatre fontaines (18), des pêcheries (peskeries) dans le fossé à l’est de Lens (19) et des élevages d’anguilles dans des viviers créés entre la Souchez et la Glissoire (20).
Quatre écluses situées sur ces rivières et sur le fossé à l’est de la ville permettent de réguler le débit de l’eau (21). Un quai de chargement de bateaux existe à la jonction du fossé et des douves.
Au sud de la ville, un emplacement, ‘les jardinas’’, est réservés aux archers (22). Le nom de l’actuelle rue des Jardins provient de cette époque.
A l’intérieur des remparts, entre les habitations, on trouve quelques fermes où on élève volailles et bestiaux. Les marchands et artisans lensois se regroupent en associations appelées corporations qui dispose d’un statut organisant la profession et distingue trois catégories de membres : les maîtres, les compagnons et les apprentis. Parmi les artisans lensois, on trouve des cordeliers, des tanneurs, des brasseurs, des menuisiers etc.
Il existe un ‘markiet as vakes’ (marché aux vaches) situé au nord du château et deux autres : le marché aux victuailles appelé ‘markiet au compenage’ sur la petite place entre l’église Saint Léger et l’hôtel de ville, et le ‘markiet a bos’ (bois) dans les environs de la Collégiale. Lens possède également un marché couvert, la halle échevinale. On y trouve en vente plusieurs jours par semaine draps, toiles, chaussures, grains, viande, poisson ou épicerie. Sur décision royale de Louis XI, aucun marchand ne peut, sous peine d’amende, vendre ou négocier sa marchandise à moins de deux lieues de la ville s’il ne l’a pas exposée auparavant pendant au moins trois jours sous la halle.
Lens possède plusieurs ‘hostelleries’ : Celle de la Cauchie (près de l’hôpital du même nom) et deux autres à l’intérieur des remparts.
Entre les remparts et l’église Saint Laurent s’est formé un petit hameau appelé ‘la Vizerie’ comprenant quelques habitations et quelques fermes.
En 1226, est fondé une association ‘La confrérie des jeunes hommes à marier de Lens’ dirigée par un prévôt. Les jeunes lensois peuvent s’y inscrire moyennant une cotisation annuelle et s’engagent à verser une taxe dans la quinzaine suivant leur mariage.
Déjà au 13ème siècle, l’impôt des lensois est payable en 3 fois : à la Saint Rémy (1er octobre), à Noël et à Pâques. Ils sont taxés sur leur habitation, sur ce qu’ils consomment et sur ce qu’ils vendent. A l’époque de la châtellenie, les alliés du comte d’Artois sont moins imposés que les partisans du roi. Les étals des marchés sont aussi imposés : une maille (un demi-denier, la maille était la plus petite valeur représentée matériellement) par emplacement.
L’histoire de Lens est loin d’être terminée ! En 1303, Lens fut de nouveau théâtre de sanglantes batailles ; l’armée flamande s’empare de la ville, la pille et l’incendie. Mais là, nous sommes déjà au 14ème siècle, ce sera donc pour un autre chapitre ……….
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