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MON ‘MAI 68′ DANS LA VOIX DU NORD

Voici l’intégralité de l’article de Auriane Stanesco publié dans La Voix du Nord du 25 mai 2018 :

Comment Mai 68 a-t-il été vécu? Le témoignage d’un collégien lensois de l’époque(1/2)

Mai 1968 a mobilisé les travailleurs et aussi certains élèves du Lensois. La ville de Lens a vécu au rythme du travail arrêté, des grèves, et des manifestations. L’historien Claude Duhoux avait alors 16 ans et était scolarisé au collège Michelet de Lens. Il se souvient n’avoir plus eu cours et être allé manifester avec des lycéens.

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Un peu partout dans la région, les élèves se mobilisaient en faveur de la grève. Photo d’illustration Voix du Nord.

À 16 ans, le jeune Claude Duhoux ne s’intéressait pas beaucoup à la politique. Pourtant, il s’est pris au jeu de la manifestation, se souvient-il aujourd’hui. « À cette époque, effectivement je ne m’intéressais pas trop à cela. Mai 68 a démarré sans qu’on s’en rende compte. Mon père était délégué syndical, il suivait un peu la politique, mais nous les jeunes, on ne s’y intéressait pas. Dans les corons, il n’y avait pas d’étudiants. Pour mon père, c’était des gosses de riches, qui s’amusaient à faire la révolution. J’étais scolarisé à Michelet, et ma soeur se trouvait juste à côté, car les garçons et filles étaient encore séparés. J’étais en 3e, elle en 4e. Au lycée Condorcet, les élèves n’allaient plus en cours. Ma soeur n’était pas contente, car nous continuions à aller en cours, et pas eux », se souvient Claude Duhoux, qui, presque du jour au lendemain, s’est mis à prendre part au mouvement.

L’arrêt des cours, avant une manifestation pacifique

« Un beau jour, d’une idée commune spontanée, on n’est pas entrés en classe, on est tous restés assis dans la cour. Ça a duré une après-midi. Dès le lendemain, les profs ne nous faisaient plus classe. On était dehors, on passait nos journées à attendre. Puis, quelque temps après, les élèves de Condorcet ont décidé d’aller manifester devant la mairie. On a décidé d’aller les rejoindre. On l’a proposé à nos profs, on voulait faire comme les autres, il n’y avait pas de connotations politiques pour nous. De toute façon, on n’avait pas cours. Nos profs ont tout de suite accepté. Ils ont voulu y aller pour nous encadrer. Christian Daubresse, un de mes profs, m’avait dit que c’était pour éviter les accidents », se remémore le Lensois, qui allait ainsi participer à sa première manifestation.

« On s’y est rendus en rang. On a manifesté, il n’y avait pas vraiment de slogans. À 16 h 30, on s’est tous dépêchés de rentrer pour pouvoir prendre nos bus. Mon père, ça ne lui plaisait pas qu’on manifeste en ville. Un week-end, on a appris qu’il y avait eu un mort à Paris. À partir de ce moment-là, mon père a décrété que c’était trop dangereux d’aller à l’école. Alors on restait à la maison, on jouait avec les copains dans la rue. » Pour Claude Duhoux, Mai 68 a finalement dans ses souvenirs comme un goût de « vacances ».

     À l’usine Finalens, tout le monde était en grève

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À l’époque, Bernard Duhoux (Laloux) était plus âgé que son frère de Claude Duhoux, aujourd’hui historien. Il travaillait chez Finalens, une usine chimique, filiale des houillères à Douvrin. Il se souvient avoir joué à la belote dans l’entreprise pendant Mai 68.

« L’usine, comme toutes celles de France, a dû s’arrêter de tourner autour du 20 mai, jusqu’au 4 juin. Je suis approximatif sur le début de la grève car j’étais en congés à partir du 18 mai. Je suis parti en vacances et, au retour, il n’y avait plus de train pour rentrer. On a donc dû trouver une solution dans la famille. Comme beaucoup d’autres, l’usine était occupée, il y avait une surveillance organisée par le personnel 24 h sur 24. Je me souviens d’avoir fait deux postes, après-midi et nuit. Des équipes de surveillance tournaient en permanence dans l’usine. Le reste du temps, c’était discussions et belotte. Nous étions nombreux à chaque prise de poste pour démontrer notre intérêt à la grève. Nous restions une demi-heure, puis on rentrait. »

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Les buvards de Lens

   Lorsque l’on quittait les classes maternelles pour aller ‘à la grande école’, on avait droit pour la première fois au porte-plume qu’il fallait tremper dans l’encrier de porcelaine placé dans un trou de notre bureau.

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   Ce n’est que quelques années plus tard que l’on pouvait enfin utiliser un stylo-plume. Pour la plus part d’entre nous, il avait été offert à l’occasion de notre communion. La bouteille d’encre ‘Watermann’ accompagnait le cadeau car nos stylos ne possédaient pas encore de cartouches !

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   Mais l’encre, ça fait des tâches sur le cahier et ça ne sèche pas immédiatement. Au début de l’année scolaire, le maître nous donnait parmi nos fournitures quelques feuilles de papier buvard. Il en fallait plusieurs car nos buvards devenaient vite souillés.

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  Alors, pour en avoir un peu plus ou pour faire jalouser les petits copains, certains apportaient en classe des buvards publicitaires. Il fallait faire attention parfois à ne pas se faire prendre à les utiliser car certains maîtres les interdisaient formellement. La punition était la confiscation et un mot pour les parents sur le cahier.

  Mais bravons cette interdiction pour une fois et souvenons nous des buvards publicitaires des commerçants lensois.

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Ma rentrée des classes en 1958

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           En ce lundi 1er septembre 1958, c’est la rentrée des classes à Lens comme partout en France. Pour la première fois, après deux années passées à l’école maternelle du 14, je vais à la ‘grande école’. Je rentre à l’école du 12 qui ne s’appelle pas encore Jean Macé.

            Ce matin, je me suis levé plus tôt que d’habitude. J’ai pris mon petit déjeuner sur la grande table de la cuisine, des tartines de beurre trempées dans du Banania. Ensuite, je me suis habillé. Mes vêtements étaient prêts sur une chaise : ma chemisette, mon pull-over, ma culotte courte et mes grandes chaussettes. Puis j’ai enfilé pour la première fois ma blouse. La blouse était obligatoire à l’école primaire, symbole d’une égalité entre tous les enfants des corons.

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            Enfin voici l’heure tant crainte, l’heure de partir à l’école, l’heure de changer de vie, l’heure de prendre à la main ma ‘carnasse’, cette sacoche encore presque vide ce matin et qui va m’accompagner chaque jour jusqu’en juillet prochain.

            Ma carnasse est légère mais ce soir, elle sera alourdie d’une ardoise avec son éponge et ses craies, de cahiers, des livres de lecture et de calcul, d’un plumier comprenant des crayons de bois, une gomme et l’indispensable porte-plume qui, plongé dans l’encrier en porcelaine du bureau, nous fera dessiner les pleins et les déliés sur notre cahier à grandes lignes.

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            Ce soir, il y aura du travail à la maison pour mes grandes sœurs : couvrir les nouveaux livres, mettre les protège-cahiers, couper les buvards et coller partout ces étiquettes sur lesquelles est inscrit en script : ‘Claude DUHOUX, CP, école de la fosse 12’.

            Ce matin, pour la première et unique fois, ma mère m’accompagne pour me faire voir :

… La route, celle qui sera obligatoire : la rue Fermat, la rue des Saules puis la rue des Marronniers, tout autre itinéraire est formellement interdit et jamais nous ne penserons à braver cette interdiction.

… L’école des garçons : l’entrée se trouve sur le Grand Chemin de Loos. Il faut être là tôt, avant l’ouverture de la grande grille par le directeur à 8h20. ‘’Donc t’as pas intérêt à traîner en route si tu ne veux pas être puni !’’ me met en garde ma mère. Chaque jour, à 8h30 précises, la cloche sonnera l’heure de se ranger devant la porte de la classe. Tant pis pour ceux qui seront en retard, ils devront passer par le bureau du directeur avant de rejoindre leur classe.

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            Ma mère reste avec moi dans la cour jusqu’à ce qu’on nous demande de nous aligner deux par deux … puis elle s’en va. Le reste n’est plus son problème : ça se passe entre l’instituteur et nous, entre l’autorité et l’enfant ; l’autorité du maître que jamais les parents de l’époque ne remettaient en cause.

            Je reste seul. Non, pas seul ! Nous sommes une trentaine de gamins du même âge alignés les uns derrière les autres … tous aussi intimidés. J’en reconnais quelques uns qui étaient avec moi en maternelle. Mais ici, c’est plus grand, on est plus nombreux et il y a des grands à qui on n’osera même pas parler sauf pour ceux qui ont la chance d’avoir un grand frère.

            Pourtant un grand, il y en a un dans notre rangée. Il est un peu bizarre. Je le connais, il habite dans ma rue, la dernière maison avant le cimetière. Il restera assis au fond dans la classe toute l’année. Pour lui, on a installé un bureau plus grand que le notre. Aujourd’hui, on dirait qu’il est handicapé mental. A l’époque, on disait : ‘’Il n’a pas toute sa tête’’ ou ‘’Il n’est pas normal’’. Jamais il n’arrivera à lire ou à écrire. Il restera en CP jusqu’à ses 14 ans, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire. Après ….. C’est ainsi que l’on traitait le handicap en 1958 ….

            Celui qu’on n’appelle pas encore entre nous ‘ch’maît’ arrive. Il est vieux mais gentil. Il s’appelle Monsieur Legrand. Vêtu de sa blouse grise serrée par une ceinture, les grosses lunettes noires sur le nez, il porte sur la tête un béret incliné sur un côté. On ne le verra jamais dans la cour sans son béret quelque soit le temps.

            Comme il habite sur le parvis derrière l’église du 12, nous, ses élèves, ferons souvent un bout de chemin avec lui à la sortie des classes. Lui, ça l’amusera certainement de voir ces gamins qu’il aime tant lui proposer de porter son cartable, sa carnasse ! Nous, ça nous rendra fier de l’accompagner.

            Monsieur Legrand a une jambe plus courte que l’autre. Personne ne sait ni ne saura pourquoi. Pour compenser et éviter de boiter trop, il longe toujours le bord des trottoirs, un pied sur celui-ci, l’autre dans le caniveau !

            C’est l’heure ! Le maître nous fait entrer. C’est avec appréhension que nous prenons possession de notre classe. Quel changement par rapport à l’école maternelle : finies les grandes tables de huit et les petites chaises à accoudoirs. Là, des bureaux en bois à deux places parfaitement cirés, alignés en trois rangées de part et d’autre du poêle à charbon font face à l’estrade où est perché le bureau du maître. Derrière sa chaise, un grand tableau noir et une carte de France. Cette carte de France où figurent les 90 départements et leurs chefs-lieux que nous saurons réciter par cœur dans quelques années ainsi que les fleuves et leurs affluents, les montagnes avec le point culminant du pays, le Mont Blanc dont on apprendra qu’il est haut de 4810 mètres.

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            On ne s’assoit pas où on veut. Le maître nous appelle par ordre alphabétique et nous désigne notre place. On pose sa carnasse le long au pied du bureau, on s’assoit et on croise les bras.

            Première règle : pour parler en classe, il faudra lever le doigt et attendre que le maître nous y autorise. Et le maitre, on l’appellera toujours ‘Monsieur’ en le vouvoyant. En 1958, il est hors de question d’appeler l’instituteur par son prénom et de le tutoyer. On n’appelle pas ça du respect ou du savoir-vivre : c’est comme ça, c’est tout.

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            Cette fois, c’est parti pour une année ! Année au cours de laquelle, chaque jour de la semaine sauf les jeudis et dimanches, nous allons apprendre à lire, à compter mais aussi à vivre ensemble dans le respect les uns des autres.

            Chaque matin, au début de la classe, il y aura la leçon de morale que nous copierons sur notre ‘cahier du jour’. La phrase quotidienne qui nous apprendra comment nous comporter en ce monde restera inscrite à la craie au tableau jusqu’à la fin de la journée juste sous la date : En CP, c’est par exemple : ‘’Je prendrai soin de mes affaires’’, ‘’J’écouterai toujours le maître’’, ‘’Je serai un élève attentif’’ ….

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            La récompense du travail bien fait : un petit bout de carton de couleur que l’on appelle un ‘bon-point’ ; et au bout de dix bons-points, une image ! Quelle fierté d’en avoir une de plus que son voisin. Mais il faut aussi faire attention au ‘classement’. Si sur la double page cartonnée qu’il ramènera à la maison chaque mois, les notes et les appréciations du maître et du directeur seront bonnes, l’élève aura droit au billet d’honneur pour sa bonne conduite et son application au travail.

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            Mais pour mériter cela, il faudra bien travailler. ‘’Pour avoir un beau métier’’ nous disait-on. ‘‘Pour ne pas être mineur’’ nous précisait-on. Pour bien travailler, certains iront ‘à l’étude’. L’étude, c’est une heure supplémentaire le soir, quatre jours par semaine. Là, contre une minime participation financière, le maître nous conseillera pour faire nos devoirs sur le ‘cahier du soir’.

            Les après-midi seront longs pour ceux qui iront ‘à l’étude’ ! Alors, ils emmèneront leur goûter, le plus souvent, une tartine de confiture et un fruit. Mon goûter, je le transportais dans une mallette, un petit sac de toile bleue qu’avait cousu ma mère.

            Mais aujourd’hui, c’est la rentrée ! Tout le reste, on l’apprendra au fur et à mesure. Au fur et à mesure que nos maîtres feront des enfants que nous sommes des adolescents. Dans cinq ans, certains iront en sixième au collège ou au lycée, d’autres resteront jusqu’à leurs 14 ans, jusqu’au certificat d’étude. Parmi ces derniers, beaucoup rejoindrons le centre de formation des galibots des mines de Lens.

            Voilà donc comment se passait la rentrée des classes à l’école primaire de la fosse 12, à Lens, en 1958.

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