S’il est un homme qui a bien marqué son époque et laissé de nombreux souvenirs dans les mémoires des lensois, c’est bien Taraderuse (ou Taraderuze).
Pourtant Taraderuse n’est pas un homme, ou si peu. Taraderuse est un géant, LE géant de Lens ; et même si sa vie a été éphémère, il est encore aujourd’hui un personnage reconnu et aimé des anciens lensois.
Après la seconde guerre mondiale, la ville de Lens a besoin de se reconstruire à nouveau et le budget municipal est alloué en priorité à effacer les cicatrices laissées par les bombardements; aucun financement ne peut être consacré à l’organisation de festivités. En 1956, Lens a repris pratiquement son aspect d’avant-guerre. La municipalité d’Ernest Schaffner peut maintenant penser à offrir à la population de quoi s’amuser et faire la fête.
Ainsi, le Conseil Municipal décide que les ‘fêtes de la Renaissance de Lens ‘ auront lieu du 3 au 17 juin et que le grand défilé des associations sera programmé le dimanche 10 juin.
Toutes les sociétés sportives, musicales et culturelles sont invitées à défiler dans les rues de la ville. Pour cela, elles préparent costumes, chars fleuris, déguisements ….
Le rassemblement des géants du Nord à Lille quelques semaines auparavant donne l’idée aux membres d’un comité du centre-ville de créer …. un géant lensois. Que pouvait représenter ce géant dans la capitale du pays minier ? Et bien, un mineur, bien sur.
Et ainsi naît Taraderuse. Vêtu de sa longue veste de toile bleue retenue par une ceinture de cuir, coiffé de sa barrette dissimulant à peine son béguin, il porte sur l’épaule son pic et tient de la main droite sa lampe de mineur.
Taraderuse tire son nom d’une phrase du langage picard, dont le patois est quasiment similaire à celui du Pas de Calais. Dans le ‘Glossaire de mots picards, termes et expressions encore en usage’, on peut lire : « Ruses (avoir des ruses) : avoir des difficultés ». On peut donc traduire le nom de notre géant » Taraderuse » ainsi : « Tu auras du fil à retordre ». D’après la légende qui rapporte son histoire, c’est ce que répondait Sophie Bouboute, la mère de Taraderuse lorsque celui-ci lui faisait part de son intention de chercher une épouse.
Une autre version, rapportée dans un article de La Voix du Nord par Amand Mahieu en 1972, évoque un roman qui serait paru après la seconde guerre mondiale. Dans ce texte aujourd’hui introuvable, il aurait été question de la naissance d’un enfant de mineur à qui le père disait, en patois bien sur « Je n’ n’ai eu des ruses. Min père, y n’a eu. Ti aussi, té n’n’auras… ». Et c’est ainsi que l’enfant fut appelé Taraderuse.
Pour les anciens lensois, ceux qui ont connu les défilés des géants, c’est uniquement la première version qui est restée dans les mémoires.
Quand à celle qui soutient que ‘T’aras des ruses’ peut être traduit par « Tu auras des ruses » (‘ruses’ prenant ici le sens de ‘astuces’ ou ‘feintes’), elle est très peu vraisemblable.
Ce même article qualifie notre géant ainsi : ‘Très haut et très puissant seigneur Taraderuze, premier du nom et tenant du titre de protecteur des mineurs’. Notre bonhomme avait-il vraiment le rôle de protecteur des mineurs ? Rien n’est moins sur si on s’en réfère aux autres ouvrages consacrés aux géants du Nord-Pas de Calais.
Les géants ont en effet toujours eu vocation de faire rire, d’amuser les populations. Lors de fêtes populaires du moyen-âge, ceux représentants les seigneurs étaient la cible de quolibets, de crachats et même de coups de pieds ou de poing de la part du peuple. Les géants sont loin d’avoir des facultés divines et sont même très mal fut par l’église catholique. Ils n’ont d’ailleurs jamais été autorisés à participer à des processions religieuses.
Notre ami Taraderuse n’aurait-il pas lui-même fini en enfer ? C’est dans ces lieux que le dessinateur de La Voix du Nord Saint-Yves le représentait en 1972.
Ce dessin était-il prédestiné ? Selon certaines sources, remisé dans un hangar communal il aurait péri dans l’incendie de ce local dans les années 70.
Mais revenons à ses origines. C’est le dimanche 10 juin 1956 que Taraderuse est baptisé. Dans la matinée, il arrive, précédé de l’harmonie municipale et de la fanfare des sapeurs-pompiers, sur la place Jean Jaurès. Il y rejoint Rosalie Tata et Binbin, le géant de Valenciennes. Vont-ils lui servir de marraine et de parrain ? L’histoire ne le dit pas. Devant le Docteur Ernest Schaffner, Député-maire de Lens et de nombreuses personnalités locales, notre géant est fait citoyen d’honneur de la ville et membre d’honneur du Supporter-Club Lensois. Il passera l’après midi à arpenter les rues de Lens afin de se présenter à tous les habitants. Nul doute que le soir, ses porteurs devaient être épuisés même s’ils se relayaient car à cette époque, les géants étaient portés. Ce n’est que plus tard qu’ils furent équipés de roulettes.
Taraderuse n’était pas le seul géant de Lens. Il y eu d’abord Sophie Bouboute. C’était donc la mère de Taraderuse. Il n’est pas facile de trouver trace de cette brave Sophie. On dit même que, finalement, le personnage de Sophie serait resté à l’état de projet et n’aurait jamais vu le jour.
L’amie de Taraderuse, sa tante selon certains, sa ‘fiancée’ selon d’autres, c’était bien sur Rosalie Tata. Elle fut créée par une association de commerçants du quartier de la place Jean Jaurès en 1956 également. La légende veut que Rosalie Tata venait de Bully-les-Mines à Lens avant la première guerre mondiale pour y vendre des gâteaux et des ‘miettes’. Ce commerce lui servait à nourrir sa famille.
Rosalie Tata, coiffée de son chignon, son fichu sur les épaules, portait au bras un sac de toile contenant une botte de poireaux et d’où dépassait la tête d’une oie.
En 1956 également naquit un autre géant, Vulcain. Créé par les ‘Câbleries-Laminoirs-Tréfileries Lensoises’ dont l’usine se trouvait rue de Londres, Vulcain changea vite de nom pour devenir ‘Ch’Guss Trefil’.
Ainsi depuis 1956, les trois géants de Lens sont de tous les défilés. En dehors des périodes de festivité, ils montent la garde devant la porte de la mairie de Lens qui porte encore les traces de la dernière guerre.
Les géants sont à la mode. D’autres associations ou entreprises envisagent d’en construire : le comité de la rue de Paris, le groupement des cafetiers de Lens et même le groupe Lens-Liévin des HBNPC. Une association de la rue de Lille annonce même la naissance d’un géant à l’effigie de Maurice Garin, le premier vainqueur du Tour de France cyclisme qui tient un garage près de la place du Cantin. Mais aucun de ces projets ne vit le jour.
Taraderuse, Rosalie Tata et Ch’Guss Trefil ne furent invités aux fêtes de Lens que pendant une dizaine d’année seulement mais ils étaient si populaires qu’on a l’impression de les avoir toujours connus.
C’est lorsqu’André Delelis succéda à Ernest Schaffner comme premier magistrat de la ville en 1966 que les géants disparurent des fêtes de Lens dont l’organisation fut modifiée. Le but était que les lensois ne soient plus simplement spectateurs mais participants. Les fêtes ont alors lieu sur la place de la République puis plus tard, sur le parking du stade Bollaert.
Certaines sources évoquent que des divergences entre les commerçants du centre-ville, propriétaires des géants et le nouveau maire seraient à l’origine de la disparition des géants des fêtes municipales. Ceux-ci restent enfermés dans un garage municipal dans le quartier du Marais jusqu’à la fin de leur vie.
Ainsi se termine tristement l’histoire de Taraderuse, Rosalie Tata et Ch’Gus Trefil.
En juin 2014, la municipalité organise dans les rues de Lens une grande fête avec représentations de théâtre, de numéros de cirque avec clowns, danses… En hommage à notre géant, cette fête porte le nom de « Taraderuze, le festival des arts de rue ».
Au début de ce siècle, un autre géant est né à Lens. Créé par le club de supporters du RCL ‘le douze lensois’, ‘Ch’meneu‘ a été baptisé le 25 avril 2002. Il tire son nom du ‘meneu de quévaux’ qui tirait les chevaux attelés aux trains de berlines. Depuis, ‘ch’meneu’ est celui qui entraîne les gens à faire la fête.
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